Florence Seyvos,
romancière, scénariste, dialoguiste,
lauréate du Prix du Jeune Écrivain, elle a depuis fait carrière dans le livre pour enfants et collabore notamment au cinéma avec Noémie Lvovsky.
Elle publie son dernier roman Un Garçon incassable, aux éditions de L'Olivier, 2013
Retrouvez l'interview vidéo de Florence Seyvos pour l'École des Loisirs
Voici le portrait qu'Anne Diatkine fait d'elle dans Libération
Cette écrivaine multitâche, du roman au scénario en passant par le livre pour enfants, est une discrète.
La bonne nouvelle, c’est qu’on n’est pas obligé d’attendre la rentrée pour lire l’un des plus beaux livres de l’année, le Garçon incassable. Et pour une fois, il n’y a pas de mauvaise nouvelle, profitons-en.
C’est avec cette remarque un peu abrupte qu’on aborde Florence Seyvos, sous une pluie éclatante et un genre de tente, où elle a trouvé refuge. La moquette de fortune devient spongieuse, l’eau commence à monter, le sable devient mouvant, les escarpins défaillent, les beaux vêtements ne tiennent pas le choc, et tout le monde se rue devant les baies vitrées - le camping est sophistiqué - pour photographier des stars qui photographient les vagues en détresse. Il y a une ambiance de banquet du dimanche, le repas s’étire, c’est très long entre chaque crevette. Le sommeil gagne, chacun est prisonnier de la tempête, titre d’un magnifique album pour enfants de Florence Seyvos, illustré par Claude Ponti, songe-t-on soudainement. Où est-on ? A Cannes, festival de cinéma.
Florence Seyvos est une fille discrète, elle ne nous dit pas ce qu’elle fait là. Et discrète, elle l’est où qu’elle soit, elle n’envahit pas les librairies chaque année, elle ne twitte pas, ne pratique aucune forme d’autocélébration, mais ne squatte pas non plus la Quinzaine littéraire ou le Matricule des anges. Elle est plutôt habillée de gris ou de bleu marine, nous semble-t-il, mais on s’aperçoit après qu’on a oublié tout détail vestimentaire. «J’ai un truc de survie à Cannes : boire beaucoup d’eau.» Elle est servie.
Quand on lui propose de faire son portrait, elle dit «je ne préférerais pas», et lorsqu’on évoque son nom à la direction de la page Portrait, on obtient la même réponse. Banco, c’est sur la base d’accords objectifs que se montent les grands projets. A Paris, elle se ravise, car Florence est une ravisophile. Elle aime bien hésiter, douter, puis finalement acquiescer en ajoutant : «J’ai un peu honte de mes hésitations, excusez-moi.» Rendez-vous est pris au café Petite, dans le Xe arrondissement, qui porte le même nom à une consonne près, qu’un film de Noémie Lvovsky, dont elle coécrivit le scénario, il y a dix-huit ans. C’est d’ailleurs ce qu’elle est en train de faire : écrire un scénario avec la cinéaste actrice, et de nouveau sur une petite - «mais plus jeune».
Comme toutes les personnes timides, Florence Seyvos est (un peu) intimidante. Le silence de cet espace fini ne l’effraie pas. «Etes-vous scénariste ?» lui demande-t-on bêtement, car on sait bien que la réponse n’est ni oui ni non. «Non», répond-elle et on note «non» sur le cahier. «Je ne me dirais pas scénariste, car je ne saurais pas écrire des scénarios sur commande.» Lors de leur première rencontre il y a vingt ans, Florence décline l’invitation de Noémie, qui cherche quelqu’un avec qui travailler, après avoir lu son premier livre, les Apparitions. «Plus Noémie entrait dans les détails, plus des scènes s’écrivaient, presque malgré moi. On a navigué de l’une à l’autre, en se confiant 42 000 secrets de l’adolescence. Si bien qu’aujourd’hui, chaque détail biographique de notre nouveau projet provoque des réminiscences de conversations très anciennes.» Pas de synopsis : «Ecrire une note d’intention, c’est l’enfer. Ça peut nous prendre une semaine…» Pas de pitch : « On m’a dit que ce mot était dans l’air, mais je ne l’ai jamais entendu…»
Florence Seyvos a du génie pour se débarrasser des tics de l’époque comme on éloigne une mouche. Pourquoi tourne-t-on autour de son métier ? Elle est écrivain. Les Apparitions lui a valu le Goncourt du premier roman. Mais il a fallu attendre presque deux décennies avant de découvrir son deuxième roman pour grandes personnes. Ou comment la tentative d’écrire sur Buster Keaton, garçon serpillière avec lequel ses parents frottent le sol sur scène, fait surgir chez la narratrice un autre enfant, son «frère», fils du nouveau mari de sa mère, rencontré à 11 ans, lui aussi incassable. Henri, comme Buster, est insensible à la douleur. Ou plutôt, il ne peut pas la dire. Il ne parle qu’en formules. Il exige une vigilance de chaque instant, et sa grande sœur fait beaucoup plus que le protéger de son propre mystère.
Que fait-on entre deux romans ? «Eh bien, on se dit qu’on écrira demain. Je n’ai jamais eu l’impression de cesser d’écrire, puisque c’est le projet de chaque jour.» Il y a une dizaine d’années, à propos de Buster Keaton, un chapitre est venu, resté tel quel dans le roman. Puis, des notes éparses. «J’avais tellement peur de trahir Keaton.» Et sur Henri, une liste oubliée dans un tiroir, qu’elle a retrouvée récemment : «J’ai eu la surprise de découvrir que cette succession de chapitres notée à la va-vite est identique à celle du livre. Une zone dans le cerveau s’obstine sans qu’on en ait conscience.» C’est Agnès Desarthe qui lui fait comprendre qu’Henri et Buster n’étaient pas deux projets arrêtés mais le même livre. Et puis, il y a Geneviève Brisac, avec qui Florence Seyvos travaille depuis vingt ans aux éditions de l’Ecole des loisirs où elle rédige des quatrièmes de couverture, et de magnifiques livres pour enfants. «Elle ne m’a jamais laissée tomber.»
Florence Seyvos garde ses histoires longtemps en tête. Certaines sont des ritournelles qu’elle se racontait avant de s’endormir. Notre préférée est Pochée. Cette histoire inhabituelle de deuil est venue sans prévenir : «Il y a une tortue, Pochée, et son copain. Je suis arrivée au bout de la page, il était mort. Je me suis dit : "Qu’est-ce que je fais ?" Je ne m’y attendais pas du tout. Quand l’écriture vous réserve des surprises, c’est qu’elle va bien.» Et quand elle va mal ? «Tout le travail consiste à s’obliger à rester assis. Il peut ne rien se passer pendant ce temps.»
A 4 ans, elle décide qu’elle ne se mariera jamais et elle en fait part à sa mère. Son père est médecin de campagne près de la frontière belge, sa mère travaille avec lui. Une fratrie de trois, puis de quatre, quand les parents se séparent. Deux ans à Charleville, deux ans en Côte-d’Ivoire, deux ans au Havre, deux ans à Paris : les lieux de son enfance vont par deux. Les prémisses de l’écriture sont un grand placard où, enfant, elle s’enferme pour faire des émissions de radio avec de nombreuses voix. «J’essayais de trouver les mots.» Et aussi, le jeu d’être un personnage, pour vaincre la peur de l’inconnu, quand on l’envoie faire les courses au village.
Sa mère lui disait : «Mais vas-y, à cette boum.» Et elle n’y allait pas. En sixième, Florence s’est fait une amie. «Du coup, on était deux pour les émissions de radio. Et on s’écrivait des petits mots en alphabet grec pendant les cours.» Et la boum, à Cannes ? «Tout d’un coup, il y a eu de la musique très forte, plein de gens sont arrivés. Du coup, c’était facile de s’éclipser.» Elle vit avec un cinéaste, Arnaud Desplechin, ils ont un enfant qui entre au CE1. Ils évitent les dîners où il y a plus de trois personnes.
En 6 dates
1967 Naissance à Lyon.
1988 Rencontre Geneviève Brisac.
1994 Pochée, illustrations de Claude Ponti, à L’Ecole des loisirs.
1995 Les Apparitions, Goncourt du premier roman.
1997 Petites, premier film coécrit avec Noémie Lvovsky.
2013 Un garçon incassable, l’Olivier.